(In)justice climatique dans les Caraïbes

Par Jorge Guzmán et Verónica Acuña
Introduction
Le changement climatique est l'un des défis les plus urgents auxquels l'humanité est confrontée. Ce phénomène, combiné à la variabilité naturelle du climat, altère l'atmosphère, principalement en raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues des activités humaines (ONU, 1992). Au-delà de ses impacts environnementaux, le changement climatique a une profonde dimension sociale, car son accélération est liée au système capitaliste basé sur les énergies fossiles et à un modèle d'hyperconsommation. Cela accentue les inégalités historiques et accroît la vulnérabilité de certains secteurs de la société (Okereke et Coventry, 2016).
La littérature scientifique soutient que la dégradation de l'environnement et ses effets sont répartis de manière inégale. Les pays en développement, responsables d'une part plus faible des émissions mondiales de GES, sont les plus touchés en raison de leur capacité d'adaptation limitée (Uddin, 2017). Les Caraïbes, en particulier, sont confrontées à d'importants défis climatiques malgré leur faible contribution aux émissions mondiales. Sa vulnérabilité est aggravée par sa dépendance à des secteurs très sensibles au climat, tels que le tourisme et l'agriculture, ce qui souligne l'urgence de mettre en œuvre des stratégies d'adaptation qui s'attaquent également aux inégalités structurelles qui prévalent dans la région (Pichs, 2023).
Gouvernance climatique mondiale et régime climatique international
Le changement climatique, en tant que problème public mondial, met à l'épreuve la capacité des États à le gérer efficacement (Saucedo, 2019). Face à l'insuffisance des réponses nationales, la gouvernance climatique mondiale est apparue comme une solution viable, favorisant la collaboration entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux à différents niveaux pour formuler et mettre en œuvre des politiques climatiques (Bäckstrand et Lövbrand, 2015).
La gouvernance climatique est étroitement liée au régime climatique international, entendu comme l'ensemble des règles et procédures convenues pour la prise de décision sur le changement climatique (Hrabanski et Le Coq, 2019). La consolidation de ce régime a commencé avec le Sommet de la Terre de 1992 et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Cependant, des débats persistent quant à la disparité entre les ressources investies et les résultats obtenus en matière de réduction des émissions (Okereke et al., 2009).
Le Protocole de Kyoto de 1997 a adopté une approche descendante d'engagements obligatoires de réduction des GES pour les pays industrialisés (Betsill et al., 2015). Cependant, l'inefficacité de ce modèle, mise en évidence par l'échec des négociations internationales, a conduit à l'adoption de l'Accord de Copenhague en 2009, qui a promu une approche plus flexible et décentralisée permettant aux États de prendre des engagements volontaires (Dubash, 2009). Cela a donné naissance à un multilatéralisme hybride (Bäckstrand et al., 2017).
L'Accord de Paris de 2015 a consolidé l'approche volontariste de Copenhague, tout en la combinant avec certains éléments de Kyoto (Held et Roger, 2018). Il a établi un objectif mondial de limitation de la hausse des températures et encouragé l'adoption d'engagements volontaires par les États. De plus, elle a reconnu l'importance des acteurs infranationaux et non étatiques dans la lutte contre le changement climatique (Jordan et al., 2018), équilibrant ainsi l'action multilatérale et transnationale dans la gouvernance climatique (Solorio, 2021).
Justice climatique
La justice climatique est essentielle pour révéler les inégalités dans la répartition des coûts et des bénéfices du changement climatique. Le principe de « responsabilités communes mais différenciées » (RCMD), un principe clé depuis le sommet de Rio en 1992, établit que si tous les pays doivent assumer leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique, leurs obligations varient en fonction de leur responsabilité historique et de leurs capacités économiques (Castro, 2016).
Le Protocole de Kyoto a reflété ce principe, imposant des engagements de réduction des émissions exclusivement aux pays industrialisés, tandis que l'Accord de Paris a adopté une approche moins stricte. La mise en œuvre limitée du RCMD a été critiquée, notamment par les pays en développement, qui ont fait valoir que ce principe n'avait pas été appliqué équitablement (Marion et al., 2021). De plus, la littérature récente souligne l’invisibilité des propositions du Sud global, qui ont eu peu d’influence sur l’agenda climatique international, contrairement aux études du Nord global (Sapiains et al., 2020 ; Kane et Boulle, 2018).
Le fossé Nord-Sud et le cas des Caraïbes
Le fossé entre le Nord et le Sud face au changement climatique met en évidence de profondes inégalités en termes de capacité de réponse et de répartition des responsabilités. Les économies du Nord, principaux émetteurs de GES, ont accéléré leur développement au prix d'une intensification des effets du changement climatique. À l'inverse, le Sud, y compris les Caraïbes, est plus vulnérable malgré une contribution minime aux émissions mondiales (Ayazi et Elsheikh, 2019 ; Rhiney, 2015). Voici quelques exemples :
Antigua-et-Barbuda, qui n'émet que 0,002 % des GES, est extrêmement vulnérable en raison de sa géographie et de sa dépendance au tourisme (OMS, 2020). Avec 70 % de son territoire à moins de 30 mètres d'altitude, son économie est menacée par des phénomènes météorologiques de plus en plus intenses, comme l'ouragan Irma en 2017, qui a dévasté ses infrastructures. Cela pourrait accroître la pauvreté, qui touche 18 % de la population.
Les Bahamas sont également très vulnérables, 80 % de leur territoire se trouvant à seulement un mètre au-dessus du niveau de la mer (Thomas et Benjamin, 2018). Bien qu'elles ne contribuent qu'à 0,1 % des émissions mondiales, elles sont confrontées à des ouragans dévastateurs, comme l'ouragan Dorian en 2019, qui causent des millions de dollars de dégâts (Shultz et al., 2020). Son économie, dépendante du tourisme (60 %), est particulièrement menacée par le changement climatique.
Saint-Kitts-et-Nevis, avec une faible population et des émissions minimales (moins de 0,1 %), est confrontée à des cyclones fréquents et à l'élévation du niveau de la mer. Depuis 1989, l'île a été touchée par douze cyclones, causant de graves pertes matérielles et des déplacements de population. La dépendance au tourisme et à l'agriculture exacerbe sa vulnérabilité et limite sa capacité d'adaptation (Dormer, 2022).
Sainte-Lucie, avec une contribution minime aux émissions mondiales de GES, est confrontée à une vulnérabilité climatique importante. L'intrusion d'eau salée, l'élévation du niveau de la mer et les cyclones tropicaux menacent ses zones côtières et son économie, qui dépend du tourisme et de l'agriculture (Serraglio et al., 2021). Des dommages économiques importants sont prévus, atteignant jusqu'à 10 % de son PIB d'ici 2025.
Conclusion
La crise climatique dans les Caraïbes illustre les inégalités structurelles entre le Nord et le Sud, et les conséquences dévastatrices que subissent les pays en développement. Les économies caribéennes, dépendantes du tourisme et de l'agriculture, sont très vulnérables aux phénomènes météorologiques extrêmes et manquent des capacités financières et techniques nécessaires pour s'adapter à ces défis. La structure actuelle du régime climatique international n'a pas permis d'apporter de réponses adéquates aux besoins de ces pays, perpétuant ainsi l'injustice.
Il est impératif de reconfigurer les structures de gouvernance climatique mondiale afin de garantir une plus grande équité. La justice climatique doit être au cœur de l'élaboration des politiques, garantissant que les pays les plus touchés reçoivent un soutien financier, technologique et politique pour faire face aux impacts climatiques. Les inégalités structurelles qui perpétuent la vulnérabilité des Caraïbes doivent être combattues par un engagement ferme des principaux émetteurs afin de progresser vers une approche plus équilibrée et plus juste.
Remerciements
Cet article est le fruit de la bourse de recherche PAPIIT IA302124 « Diffusion des actions climatiques en Amérique latine : les cas du Mexique, du Pérou et du Chili », financée par l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM).
Références
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