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Du sargasse à l’économie bleue : une opportunité pour le Grand Caraïbe

Par: Por Avriel Rose Diaz*/Latinoamérica21

Ces dernières années, les vastes proliférations de sargasses sont devenues une force de plus en plus perturbatrice dans le Grand Caraïbe. Autrefois symbole de la biodiversité marine au large, cette macroalgue recouvre désormais les plages, de la Barbade au Mexique, menaçant le tourisme, les moyens de subsistance, les écosystèmes et, surtout, la santé publique.

À mesure que le changement climatique réchauffe les océans et modifie les flux de nutriments provenant de fleuves comme l’Amazone, la sargasse prospère. Mais lorsqu’elle atteint les côtes et commence à se décomposer, elle émet des gaz toxiques — principalement du sulfure d’hydrogène et de l’ammoniac — posant des risques croissants pour la santé humaine, en plus de l’énorme impact qu’elle entraîne sur le tourisme régional.

Ces dernières années, des communautés à travers toute la région ont signalé des pics de maladies respiratoires, notamment chez les groupes vulnérables tels que les personnes âgées, les enfants et celles souffrant d’asthme ou de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). En Martinique et en Guadeloupe, des études ont établi un lien entre l’exposition chronique aux émissions de sargasses et des maux de tête, des nausées, des irritations oculaires, voire des complications de grossesse telles que la prééclampsie et l’hypertension gestationnelle. La charge pèse de manière disproportionnée sur les communautés côtières, qui manquent souvent d’accès à des services de santé adéquats et dépendent de la mer pour leurs revenus.

Malgré l’ampleur et la gravité du problème, les impacts sanitaires de la sargasse restent un sujet négligé dans l’agenda mondial sur le climat et la santé. La plupart des débats portent sur le stress thermique, les maladies vectorielles ou l’insécurité alimentaire ; cependant, les implications toxicologiques et environnementales de la sargasse sont largement sous-étudiées.

L’histoire de la sargasse, toutefois, ne se résume pas à un danger émergent, mais représente aussi une opportunité. Au lieu de laisser la sargasse pourrir sur les côtes et polluer l’air, plusieurs États caribéens explorent des techniques durables de récolte et de prétraitement. Récoltée avant sa décomposition, la sargasse peut être transformée en produits de grande valeur : bioplastiques, engrais, alimentation animale, cosmétiques et même biocarburants.

Des entreprises en République dominicaine, au Mexique et à la Barbade mettent déjà en œuvre ces innovations à titre pilote. La récolte précoce permet également de préserver les composés bioactifs des algues, qui montrent un potentiel d’utilisation dans les produits pharmaceutiques naturels et les ingrédients fonctionnels, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour l’innovation en santé et la découverte de médicaments.

Cette approche s’inscrit pleinement dans la vision d’une économie bleue équitable : une économie qui exploite les ressources marines sans compromettre les écosystèmes ni les communautés qui en dépendent. Si elle est menée avec soin, la récolte des sargasses pourrait stimuler l’emploi côtier, soutenir l’entrepreneuriat local et introduire de nouvelles industries dans la biotechnologie et la production écologique.

Nous avons l’opportunité de promouvoir l’éducation environnementale et la résilience climatique dans toute la région. Les programmes scolaires, les centres de formation et les campagnes de sensibilisation publique peuvent utiliser le problème des sargasses pour enseigner la biodiversité marine, les impacts du réchauffement des océans et l’urgence de la coopération régionale.

Tout aussi important, cela peut aider les populations à établir des liens plus profonds entre le climat et la santé humaine, une relation souvent négligée. Lorsque les gens constatent comment l’augmentation des températures océaniques et la perturbation écologique peuvent se traduire par des maladies respiratoires, des complications de grossesse et une détresse mentale, le changement climatique devient un problème personnel et tangible. En cultivant cette prise de conscience, les Caraïbes peuvent contribuer à promouvoir des solutions politiques plus intégrées en matière de climat et de santé.

L’Association des États de la Caraïbe (AEC) joue un rôle essentiel dans le renforcement de la coopération régionale en matière de gestion des sargasses grâce à son programme SARGCOOP II, qui favorise le suivi partagé et les stratégies de réutilisation durable. Bien que l’intégration de la santé ait été largement absente de ces efforts, l’AEC a commencé à combler cette lacune en soutenant les discussions sur la mise en place d’un Réseau de Surveillance de la Qualité de l’Air des Caraïbes pour traiter les impacts sanitaires associés. Les récentes réunions de coordination en Guadeloupe pourraient servir de plateforme pour élargir cette approche multisectorielle et inclure les ministères de la santé ainsi que des experts en santé publique.

Faire face à la crise des sargasses exige une approche transdisciplinaire réunissant océanographes, climatologues, experts en santé publique, économistes, médecins, acteurs du secteur touristique, leaders communautaires, législateurs et innovateurs afin de développer conjointement des solutions globales qui protègent les écosystèmes, réduisent les risques sanitaires, soutiennent les économies locales et préservent la précieuse industrie touristique des Caraïbes.

Le Grand Caraïbe est dans une position privilégiée pour montrer la voie. Ayant affronté le pire de la crise des sargasses, il dispose désormais des outils pour inverser la situation, à condition de donner la priorité à la santé, à l’équité et à la durabilité écologique.

Imaginons un avenir où ces mêmes algues, autrefois étouffantes sur nos côtes, deviennent un symbole d’innovation et de renouveau. Pour y parvenir, nous devons agir ensemble, guidés par la science transdisciplinaire, la solidarité et un profond engagement envers le bien-être de nos populations et de nos océans.