acs aec
news

Articles

La Grande Caraïbe se réunit avec un objectif : promouvoir l’intégration et le changement

Par Carlos F. Domínguez Ávila / Latinoamérica21

Face à une interdépendance mondiale croissante, la région de la Grande Caraïbe est confrontée à des défis complexes qui exigent des réponses collectives, stratégiques et urgentes. Le changement climatique frappe particulièrement les petits États insulaires et les côtes continentales ; l’insécurité alimentaire et les catastrophes naturelles menacent le bien-être de millions de personnes ; tandis que les inégalités sociales, la migration forcée et la vulnérabilité économique continuent de creuser les divisions. Dans ce contexte, la nécessité d’avancer vers une plus grande intégration régionale devient non seulement une aspiration politique, mais une nécessité vitale.

La fragmentation historique de la région, marquée par ses multiples langues, systèmes politiques et niveaux de développement économique, a entravé la construction d’un projet commun. Cependant, les défis partagés — tels que l’adaptation au changement climatique, la gestion d’un tourisme durable, la lutte contre le narcotrafic et la promotion du commerce intra-régional — exigent des espaces multilatéraux plus solides, flexibles et opérationnels.

C’est précisément dans ce contexte que se tient le Dixième Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Association des États de la Caraïbe (AEC), un événement d’une grande importance qui se déroulera du 27 au 30 mai à Carthagène et Montería, sous la présidence pro tempore de la Colombie. Ce sommet représente une opportunité stratégique de repenser le rôle de l’AEC, de revitaliser ses mécanismes et de la positionner comme une plateforme clé d’intégration dans la Grande Caraïbe.

L’AEC a été fondée en 1994, également à Carthagène, comme un mécanisme de consultation, de concertation et de coopération entre les pays et territoires partageant les côtes de la mer des Caraïbes. Aujourd’hui, avec son siège à Port-d’Espagne (Trinité-et-Tobago), elle regroupe 25 États membres et une dizaine de membres associés, incluant le Mexique, la Colombie, le Venezuela, l’Amérique centrale, les Guyanes et les États insulaires caribéens. Ensemble, ils représentent plus de 270 millions d’habitants, une richesse humaine, culturelle et écologique d’une valeur inestimable.

Au cours de ses trois décennies d’existence, l’AEC a démontré une remarquable capacité d’adaptation, de flexibilité et une approche pragmatique autour de grands axes thématiques : le commerce et l’investissement, le tourisme, le transport et la gestion des risques de catastrophes. Elle a cherché à articuler des intérêts divers dans une région marquée par de fortes asymétries, misant sur une coopération fondée sur le respect mutuel et la solidarité.

Néanmoins, le monde a changé. Les menaces globales — des crises sanitaires aux guerres géopolitiques, en passant par les effets extrêmes du changement climatique — exigent un profond renouvellement de l’agenda de travail de l’AEC. L’adoption récente du Plan stratégique 2025-2030 constitue un pas positif dans cette direction, alors qu’une nouvelle dynamique de leadership semble émerger avec la gestion de la Secrétaire générale, l’ambassadrice hondurienne Noemí Espinoza Madrid, diplomate de carrière avec plus de trente ans d’expérience.

Parmi les priorités que l’Association devrait se fixer figurent le renforcement institutionnel, la résolution des problèmes budgétaires et administratifs, ainsi qu’une meilleure reddition de comptes. Il est également essentiel de renforcer la visibilité du travail de l’AEC auprès de l’opinion publique régionale et internationale, en impliquant plus activement la société civile, le monde académique et les secteurs productifs.

Une proposition qui gagne en importance consiste à aligner les objectifs de l’AEC avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies. Cette intégration permettrait une approche plus holistique et cohérente des défis caribéens : du développement social inclusif et de l’éradication de la pauvreté à la transition énergétique, à la transformation numérique, à la sécurité alimentaire et à la justice climatique. Intégrer les ODD dans l’agenda de l’AEC n’est pas seulement pertinent, c’est essentiel.

Le slogan du sommet, « Unis pour la vie : vers une Grande Caraïbe plus durable », reflète avec justesse la vocation intégratrice dont la région a besoin. Dans un ordre international instable, marqué par la rivalité des grandes puissances, la montée de l’autoritarisme dans plusieurs pays et une incertitude économique croissante, la Grande Caraïbe doit s’affirmer comme une région de paix, de coopération et de durabilité. Cette affirmation doit se traduire en engagements concrets et en actions efficaces de la part des gouvernements et de tous les acteurs concernés.

L’histoire des Caraïbes a été marquée par des cycles de dépendance, d’interventions étrangères et de résistance. De l’esclavage à la lutte contre le colonialisme, en passant par des moments de coopération régionale, cette région a su faire entendre sa voix et construire des identités partagées. Aujourd’hui, cette même histoire doit servir de source d’inspiration pour inaugurer une nouvelle phase d’intégration, non limitée à des déclarations politiques, mais articulée autour d’actions conjointes, d’institutions solides et d’une citoyenneté régionale active.

Avec sa structure multilatérale et son approche inclusive, l’AEC a le potentiel de devenir le principal mécanisme de concertation politique et technique de la Grande Caraïbe. Mais pour y parvenir, elle devra élargir sa base de légitimité, moderniser son fonctionnement, attirer des investissements stratégiques et consolider des alliances avec des organisations internationales, des ONG et des universités.

En conclusion, le Dixième Sommet de l’AEC ne doit pas être vu comme un événement de plus dans le calendrier diplomatique régional. Il s’agit d’une opportunité historique pour approfondir l’intégration de la Grande Caraïbe, renouveler l’engagement en faveur du développement durable et établir une feuille de route concrète vers une région plus équitable, résiliente et unie.

Dans un contexte d’incertitude internationale et de reconfiguration systémique, l’intégration n’est plus une option : c’est une nécessité urgente. Ce n’est qu’à travers une coopération régionale renforcée, respectueuse des diversités mais concentrée sur des objectifs communs, qu’il sera possible de construire une Grande Caraïbe véritablement souveraine, démocratique et durable.