VISION GENERALE DES ALLIANCES DANS LE TRANSPORT AÉRIEN D’AMERIQUE LATINE

VISION GENERALE DES ALLIANCES DANS LE TRANSPORT AÉRIEN D’AMERIQUE LATINE

(Claudia Esguerra Barragán)[1]

 

1. LES ALLIANCES DANS LE TRANSPORT AÉRIEN

 

Pendant ses presque cent années d’existence, le transport aérien  colombien a été un élément essentiel du développement du pays. Au niveau national, les besoins en matière de communication aérienne entre les différentes régions sont évidents, étant donné les distances et les temps de déplacement que suppose l’utilisation d’autres moyens de transport, les problèmes de sécurité dans le cas des voies terrestres, le développement progressif de plusieurs centres urbains qui ont fait de la Colombie un pays à la répartition démographique plus équilibrée, auxquels s’ajoute l’isolement de nombreuses régions du pays. Sur le plan international, sa position géographique et son rôle dans le commerce international, renforcé par les tendances à l’ouverture et à la mondialisation de l’économie qui se sont accentuées au cours de la dernière décennie, se sont traduits par d’importantes demandes de transport  aérien pour le transport des produits, des hommes et des flux de touristes […]

Ces caractéristiques démographiques, géographiques, économiques et sociales ont fait du transport aérien un service public  essentiel, comme le reconnaît la loi. C’est pourquoi les politiques gouvernementales ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans le développement de l’aviation civile colombienne.

La déréglementation adoptée aux Etats Unis en 1978 a introduit une nouvelle tendance sur le marché du transport aérien international, désormais régi par des accords commerciaux aériens plus ouverts, et a réduit l’intervention des autorités, ce qui a engendré une concurrence intensive entre les compagnies aériennes ; or en matière de compétitivité, les économies d’échelle sont de toute évidence déterminantes.  Ce processus fait que la taille du marché et la création de réseaux de plus en plus étendus sont des éléments clés pour assurer la survie sur un marché international de plus en plus ouvert et concurrentiel ; les alliances entre compagnies aériennes sont pour cette raison à l’ordre du jour en tant que stratégie compétitive sur le marché actuel de l’aviation mondiale, et jouent un rôle très important dans le développement  de l’aviation en Amérique latine.

 

2. AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES ALLIANCES  

Avantages

• Produisent des synergies en combinant les meilleures parties et optimisant les processus

•Réseau de routes assurant une plus grande couverture et des connexions plus adéquates.

• La consolidation et la rationalisation de l’offre permettent de mieux mettre à profit les ressources; les avions sont utilisés au maximum et on réalise des économies d’échelle qui engendrent une plus grande efficacité.

• Transfert de technologie et meilleures pratiques, renforcement des avantages compétitifs.

• Plus grande couverture des ventes,  accès aux nouveaux marchés, optimisation des canaux de distribution.

• Potentiel de clients accru et renforcement des stratégies de fidélisation.

• Plus grandes ressources en capital pour développer les marchés et/ou les technologies.

• L’extension du réseau et de l’offre est l’un des principaux  avantages qui découlent de la création d’alliances, lesquelles sont avantageuses pour les utilisateurs et sont un facteur décisif pour justifier les intégrations, fusions et acquisitions,  à condition qu’elles soient en harmonie avec les normes de concurrence.

• En somme, outre que les compagnies aériennes acquièrent une présence mondiale, les alliances  contribuent à créer une plus grande variété de services pour les clients - fréquences accrues, plus de routes, meilleurs connexions, unification des programmes de fidélisation de voyageurs fréquents, utilisation conjointe de salles VIP, facturation unique pour les voyages qui comportent des vols sur plusieurs compagnies, etc.- tout en dotant les compagnies aériennes qui en sont membres d’un pouvoir d’achat accru, en suscitant des synergies, etc..

Inconvénients

• Conflits en matière de contrôle en fonction de la capacité de décision pour la gestion de l’entreprise ainsi que des intérêts des membres.

• Différentes approches des modèles commerciaux antérieurs à l’alliance et surcoûts découlant des ajustements nécessaires pendant le processus d’alliance, tels qu’harmonisation de la flotte, des procédures et des technologies.

• Objections éventuelles ou imposition de conditions de la part des autorités en fonction des normes de concurrence, qui peuvent créer des incertitudes quant au processus d’alliance.

• Eventuelles conséquences négatives pour les utilisateurs si l’on ne dispose pas des outils de contrôle adéquats pour s’opposer aux pratiques concurrentielles indues.

 

 3. LES ALLIANCES RECENTES EN AMERIQUE LATINE

 Les accords et alliances entre compagnies aériennes ont existé et prévalu dans les différents contextes de la réglementation du transport aérien tout au long de son histoire commerciale -  réglementation accrue (protectionnisme aéronautique) ou plus grande ouverture (libéralisation et ciels ouverts)-, même si  leur portée, contenu et mode de réalisation différaient quelque peu. Dans cet article, nous ne nous réfèrerons qu’aux processus les plus récents observés dans la région latino-américaine.

 La région, suivant les étapes d’évolution du marché de transport aérien international, a adopté dans les années quatre-vingts dix une approche de protectionnisme accru où les différents pays négociaient, avec certaines nuances, les droits de trafic aérien sur la base des concepts de réciprocité réelle et effective et avec des restrictions d’accès au marché et un contrôle  rigoureux des tarifs. Dans ce cadre de règlementation accrue du marché il y avait, curieusement, une place pour les accords entre opérateurs, qui étaient souvent le moyen permettant d’accroitre la capacité, conditionnée par l’existence d’accords préalables entre les compagnies aériennes. On peut citer comme caractéristiques  de cette époque les accords de pool, de redevances ou d’entreprises communes. L’alliance LACSA-AVIANCA-VIASA, qui opérait sous forme de groupement de trois compagnies pour couvrir la route San José-Panama-Barranquilla-Caracas-San Juan, fut considérée comme emblématique à l’époque. Il semblait paradoxal que dans un contexte de restriction de la concurrence, les autorités encouragent des accords entre compagnies aériennes qui se traduisaient par des structures  de marché beaucoup plus fermées. À cela venait s’ajouter, dans certains cas, la promotion, voire l’exigence d’accords tarifaires entre opérateurs, au moyen des clauses établies par les  traités bilatéraux sur les droits de trafic aérien.

 A partir des années quatre-vingt-dix  un modèle de négociation  de droits de trafic aérien beaucoup plus flexible commence à se répandre en Amérique latine, dans le cadre des tendances  internationales qui voyaient le jour aux Etats-Unis et en Europe, à savoir l’adoption de modèles de cieux ouverts, plus compatibles, d’un point de vue conceptuel, avec les alliances  entre opérateurs, dans la mesure où ils éliminent les obstacles à l’accès aux routes aériennes. Dans ce nouvel environnement, plus libéral, des marchés aériens, l’accord type d’alliance   commerciale entre des compagnies aériennes est celui qui porte sur le partage de codes (code share), et à mesure qu’il se reproduit et attire des opérateurs multiples, il ouvre la voie à ce que l’on appelle les Alliances  globales, conçues comme des réseaux de compagnies aériennes suivant un modèle commercial qui tend à normaliser les avantages accordés aux clients grâce à des programmes de voyageurs fréquents, qui impliquent accumulation de miles, normalisation des méthodes d’enregistrement, salons VIP, surclassement, etc.

Après cette brève description du contexte réglementaire, nous présenterons à la suite les expériences les plus récentes d’alliances entre compagnies aériennes de la région latino-américaine, qui font apparaître le regroupement de  concurrents en groupements différenciés de compagnies aériennes, ce qui peut être considéré comme une caractéristique distincte du schéma actuel d’alliances dans la région.

 3.1 GROUPE  AVIANCA-TACA. Il faut signaler, à titre d’antécédent de l’intégration d’AVIANCA à TACA, que dès les années quatre-vingt-dix la compagnie aérienne salvadorienne Taca International avait entrepris de créer un groupe d’opérateurs appelé par la suite Groupe Taca, constitué par LACSA, du Costa Rica, AVIATECA du Guatemala et TACA PEROU, dans le but d’obtenir de meilleures conditions de négociation, en particulier pour les contrats d’achat de flotte, en opérant à plus grande échelle.

Pour sa part, la compagnie aérienne  colombienne AVIANCA avait lancé, entre les années 2000 et 2001, la première grande  alliance de l’histoire récente de l’aviation commerciale colombienne, connue sous le nom d’alliance Summa, constituée par les compagnies aériennes nationales AVIANCA, SAM et ACES et  autorisée à la fin de 2001, qui toutefois s’était dissoute en  2003 avec la faillite d’ACES ; par la suite SAM a été absorbée par AVIANCA (2010). La décision d’AVIANCA de recourir en 2003 à ce qui est connu sous le nom de “chapitre 11” pour restructurer sa difficile situation financière, a abouti en 2004 à l’achat de cette compagnie aérienne par le groupe brésilien Sinergy, déjà propriétaire de la compagnie brésilienne OCEAN AIR. Depuis lors, la récupération et la consolidation d’AVIANCA se sont poursuivies de manière continue, ce qui l’a amenée à envisager une union stratégique avec les compagnies aériennes du Groupe  Taca en 2008, qui a donné naissance à l’alliance AVIANCA - TACA, l’objectif étant de renforcer sa position compétitive en créant l’un des plus grands réseaux de transport aérien d’Amérique latine et en facilitant les connexions à partir de son système multiple de centres à Bogota, El Salvador, San José de Costa Rica et Lima; cela lui permet d’offrir une grande couverture aussi bien au regard des destinations que des horaires et des fréquences avec une flotte dont la taille a augmenté. La compagnie équatorienne  AEROGAL s’est jointe à cette Alliance en 2010.

3.2 GROUPE COPA AIRLINES. Vers l’année 2000 COPA AIRLINES a constitué une alliance avec l’ancienne compagnie CONTINENTAL AIRLINES (aujourd’hui UNITED AIRLINES) ; elle impliquait au départ une participation actionnaire et avait essentiellement pour objet de l’aider à techniciser ses procédures, homologuer et moderniser sa flotte et accéder à un plus grand nombre de destinations  internationales grâce à un accord de partage de codes, ce qui a permis à la compagnie aérienne  panaméenne de se consolider. Dans le cadre de ce processus, Copa Holdings acquiert la compagnie colombienne AERO REPUBLICA au début de l’année 2005 et établit ensuite une alliance stratégique avec la compagnie aérienne  panaméenne COPA AIRLINES, le but étant de compléter ses opérations et les connexions aériennes, essentiellement par l’entremise du nœud de correspondances de Panama. COPA AIRLINES propose plus de cent vols journaliers et couvre près de 60 destinations dans environ 30 pays du continent américain, où les voyageurs peuvent se rendre en empruntant des routes directes au départ et à destination de Panama. Cette opération est complétée par les vols et le réseau de routes d’AERO REPUBLICA (connue aujourd’hui sous le nom de COPA AIRLINES COLOMBIA), qui dessert les principales villes du marché national colombien ainsi que des routes internationales à partir de neuf villes colombiennes jusqu’à Panama, et effectue des vols directs vers certaines capitales de la région comme Caracas, Quito, Guayaquil, La Havane, Punta Cana, Cancún et Mexico, entre autres.

3.3 GROUPE LAN. A la fin des années quatre-vingt-dix, la compagnie aérienne chilienne LAN AIRLINES a entamé un processus d’expansion dans la région sud-américaine grâce à un modèle consistant à créer des compagnies aériennes dans différents pays sous la même marque, LAN, s’efforçant de desservir aussi bien le marché du cabotage que les  principales routes internationales. C’est ainsi qu’apparaissent LAN PERU, LAN ECUADOR et LAN ARGENTINA, qui, avec la compagnie mère chilienne, forment le GROUPE LAN. En 2010, attirée par l’énorme croissance du marché colombien du cabotage, qui avait augmenté de plus de 30% cette année-là, le groupe LAN acquiert la majorité des actions de la compagnie colombienne AIRES, qui un an plus tard change de nom à des fins commerciales pour adopter celui de LAN COLOMBIA, plus en accord avec celui du groupe. L’achat d’AIRES par le Groupe LAN signifie la présence sur le marché colombien d’un autre grand concurrent reconnu au niveau international, qui dessert le troisième marché de cabotage de la région latino-américaine. Presque en parallèle avec l’acquisition d’AIRES, le groupe LAN annonçait la constitution d’une alliance stratégique avec la principale compagnie brésilienne de transport aérien, la TAM, qui est sans aucun doute l’une des plus grandes de la région, ce qui a donné naissance à l’alliance LATAM, qui vient de se consolider en obtenant l’approbation des autorités compétentes.

3.4 ALLIANCE GLOBAL STAR ALLIANCE EN AMERIQUE LATINE. La récente incorporation d’AVIANCA-TACA et de COPA AIRLINES à la STAR ALLIANCE, l’une des plus grandes alliances mondiales, qui regroupe 31 membres, effectue plus de 22.500 vols journaliers et dessert 1.292 destinations dans 188 pays, suppose la présence de l’aviation régionale latino-américaine dans un véritable réseau mondial du marché international du transport aérien, ce qui se traduit par un meilleur choix de connexions et des avantages accrus pour les utilisateurs. Selon les informations diffusées par les  compagnies aériennes, les  passagers de Star Alliance peuvent avoir accès à une vaste offre de vols dont les connexions s’effectuent via les nœuds de correspondances de  Copa Airlines dans les villes de Panama (Panama) et Bogota (Colombie) et ceux d’Avianca-TACA à Bogota (Colombie), San Salvador (El Salvador), Lima (Pérou) et San José (Costa Rica). A Panama, les clients d’Avianca-TACA et de Copa Airlines auront en outre accès au réseau global de Star Alliance et aux avantages qu’offre l’Alliance tels que l’accumulation et le rachat de miles dans toutes les compagnies aériennes qui lui sont associées.

 

4. CONCLUSIONS

1. Le maintien et l’expansion des  différents types d’alliances  entre compagnies aériennes fait partie des tendances et caractéristiques propres au marché du transport aérien, en particulier au niveau international. Dans certains cas, ces alliances répondent à des restrictions dans la réglementation du marché (telles que les restrictions bilatérales sur l’accès aux routes); dans d’autres, à la nécessité de réduire les coûts pour rester compétitif et maintenir une présence sur le marché, ou à la nécessité de restructurer les plus grands réseaux sur des   marchés plus compétitifs pour améliorer la rentabilité.

2. Les accords de coopération ou d’alliances stratégiques constituent une alternative pour réduire les risques et renforcer les points forts en améliorant la compétitivité, même si la forme juridique que revêt leur instrumentation varie selon les conditions du milieu et la concurrence, le cadre juridique, la situation financière des associés, etc.

3. En matière de transport aérien, la grande importance que revêt une augmentation de l’échelle des opérations ne fait aucun doute, et la création de réseaux de routes aux niveaux national, international et régional, contribue fortement à instaurer des opérations à plus grande échelle, à réduire les coûts et à accroître la compétitivité.

Les tendances à la libéralisation des marchés ont contribué à l’abandon du concept traditionnel de compagnie aérienne  nationale au profit d’un schéma de groupes de compagnies aériennes (alliances) qui dépasse les frontières d’un seul pays et cherche plutôt à desservir des zones géographiques plus étendues. Dans ce contexte, les alliances sont un élément clé pour améliorer la compétitivité et garantir une présence à long terme sur le marché.

4. L’industrie aérienne n’échappe pas à la tendance aux alliances, mais elle doit affronter le défi de faire en sorte que cette tendance soit compatible avec un cadre de réglementation plus libéral, où il est impératif de garantir que la concurrence se fait de manière loyale et équitable

5. Enfin, dans le cas de l’Amérique latine, on observe une tendance croissante à la constitution de groupes de compagnies aériennes sur la base d’alliances qui évoluent, et cela apparaît clairement dans les différents types d’accords entre les  compagnies aériennes tels que ceux portant sur le partage de codes, l’utilisation commune des plateformes technologiques et des systèmes de réservation et d’enregistrement des passagers (code unique), les accords sur l’utilisation d’avions, soit sous forme d’affrètement soit sous forme d’échanges réciproques  d’appareils, et les divers accords commerciaux comme ceux d’exploitation conjointe d’une marque commune, l’objectif étant d’optimiser l’utilisation de la flotte et d’accroître la capacité opérationnelle des compagnies aériennes.

 

[1] Responsable des questions internationales de l’Aéronautique civile colombienne.   Les opinions exprimées dans cet article n’appartiennent qu’à l’auteure et n’engagent pas l’organisme pour lequel elle travaille.