Le transport ferroviaire caribéen: ni perdu ni oublié

Dernier train pour San Fernando

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C’est le dernier train pour San Fernando

(The Mighty Spitfire, 1940)

 

Une étude de faisabilité est en cours juste au sud de la région de la Grande Caraïbe en vue de la construction éventuelle d’une ligne de chemin de fer interocéanique de 5.300-kilomètres de long traversant le Pérou et le Brésil,  ce qui reflète, quoiqu’à une échelle beaucoup plus vaste, l’image d’un système de transport qui a connu une longue histoire dans la Caraïbe. Même si l’on n’a pas prêté beaucoup d’attention aux systèmes de transport ferroviaire, le développement de cette industrie peut revêtir une grande importance pour la région et en particulier pour les grands pays continentaux de la Grande Caraïbe, en réduisant les coûts de transport maritime, renforçant l’accès de l’arrière-pays aux ports et améliorant l’efficacité.

 

Le transport ferroviaire est d’abord apparu dans la zone de la Caraïbe insulaire au XVII siècle, principalement en raison du commerce du sucre des colonies. Etant donné les taux élevés de production sucrière de la région et le boom général du sucre à la Barbade, la Jamaïque et dans les îles sous le vent au XVIII siècle, un système commercial de transport terrestre plus moderne que le transport hippomobile avait été jugé nécessaire pour renforcer l'efficacité des exportations des nombreuses plantations de sucre et des ports. D’autres projets agricoles ont ensuite entretenu la construction de systèmes ferroviaires, ce qui a mené à leur utilisation éventuelle pour le transport de passagers, en particulier dans les plus grandes îles comme Cuba, la Jamaïque et Trinité. Cependant, comme le décrit The Mighty Spitfire dans son calypso des années 1940  “Last Train to San Fernando,” les services de transport ferroviaire dans la Caraïbe insulaire ont pour la plupart été supprimés lors du déclin de l’industrie sucrière, sauf dans quelques Etats insulaires comme Cuba qui continue à bénéficier d’un système établi de transport métropolitain de passagers, la République dominicaine avec son réseau de métro et la  Jamaïque, dont le service dessert exclusivement désormais l’industrie nationale de la bauxite.

 

La culture et l’exportation d’autres importants produits agricoles tels que la banane et le café au XIX siècle et au début du XX, associées à la ruée vers l’or californien en 1848, ont aussi induit à la  construction de lignes de chemin de fer dans les pays continentaux de la région de la Caraïbe.  On a assisté en 1855 à l’inauguration du chemin de fer panaméen qui traversait l’¡isthme du Panama dans ce qui était alors la Colombie et se dédiait au transport de passagers, d’or et d’autres matériaux, tandis qu’en 1877 on annonçait l’ouverture d’un chemin de fer entre Puerto San José et Escuintla au Guatemala pour le transport des bananes. Une ligne de chemin de fer de 410 km de long qui assurait la liaison commerciale avec la côte Pacifique et reliait la ville de Mexico au port de Veracruz fut ouverte en même temps au Mexique, tandis que la United Fruit Company et la Standard Fruit Company, basées aux Etats-Unis, entreprenaient d’autres projets de chemin de fer au Belize et au Honduras dans les années 1900. Des études récentes portant sur le transport de marchandises et les stratégies régionales portuaires et maritimes, réalisées par l’Association des Etats de la Caraïbe et la Banque interaméricaine de développement, recommandent d’améliorer les liaisons de transport vers l’arrière-pays afin que les principaux ports de transit puissent mieux répondre à la croissance économique des zones rurales et donc réduire les coûts des transactions. Le transport maritime, “le plus important facilitateur de la participation de la région [latino-américaine et caribéenne] au marché mondial, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPLC), assure près de 90% du transport international de marchandises. La région de la Grande Caraïbe, qui comporte de nombreuses nations encerclées par la mer, abrite 100 ports et plus de 165 services maritimes, avec 69 compagnies maritimes et plus de 640 navires qui sillonnent son bassin, transportant chaque année plus de 2 millions d’EVP au total. On s’attend à une augmentation du trafic maritime après l’achèvement imminent des travaux d’agrandissement du canal de Panama, de la construction en cours du Grand Canal du Nicaragua et de plusieurs projets régionaux de développement des ports, et l’accent a donc été mis sur le renforcement de la compétitivité des ports en améliorant les liaisons entre ces derniers et les zones de l’intérieur. L’amélioration de ces liaisons de transport serait donc bénéfique d’un point de vue économique pour le commerce maritime caribéen car elle faciliterait le développement de la chaîne logistique régionale et de la chaîne de valeur mondiale dont les ports et les clients qu’ils desservent sont un élément clé.

 

Reconnaissant la nécessité d’un meilleur accès de l’arrière-pays aux ports, les plus grands pays continentaux de la Grande Caraïbe dotés de grande plateformes portuaires utilisent le chemin de fer comme un complément pour accroître l’efficacité du transport et la compétitivité de la région en matière de commerce maritime, en construisant, parallèlement aux projets du Nicaragua et du canal de Panama, des canaux “secs” abritant à la fois des structures de transport routier et ferroviaire. L’industrie nationale colombienne du charbon, par exemple, avec un taux de production annuelle d’environ 90 million de tonnes, dépend des liaisons ferroviaires étant donné la distance entre les ports et les sites de production de l’arrière-pays. De même, le Honduras est en train d’investir 10 milliards de $US dans la construction d’une ligne de chemin de fer interocéanique comportant dix réseaux ferroviaires s’étendant sur 600km entre les côtes pacifique et atlantique du pays, afin d’accroître la capacité de manutention des marchandises entre deux ports en eau profonde (Isla del Tigre et Puerto Castilla) qui seront en mesure d’accueillir des navires post-Panamax après l’achèvement des travaux en 2030. Le Guatemala s’est aussi lancé dans un projet analogue de construction d’un couloir interocéanique qui comportera  deux lignes ferroviaires pour le fret le long d’une autoroute de 372-km de long, reliant les deux ports prévus: San Luis sur la côte pacifique et San Jorge sur la côte atlantique. Ce projet établira en outre des “zones de transfert” qui établiront des liaisons avec les marchés des pays voisins comme le Salvador. Le Costa Rica est lui aussi en train de développer un projet de grand port de transbordement dans la région de Moin, qui sera suivi d’un canal à sec accueillant une ligne ferroviaire de transport de conteneurs à haute capacité reliant les ports entre eux sur les côtes pacifique et atlantique du pays.

 

Bien que les distances à couvrir entre les nations insulaires de la Caraïbe soient assez courtes, et malgré la concurrence importante du camionnage, les chemins de fer peuvent contribuer à améliorer les performance portuaires  en renforçant les liaisons entre les sites de production et les ports pour les échanges commerciaux, en particulier dans les plus grands Etats insulaires, ce qui par conséquent améliorerait l’accès à l’arrière-pays, réduirait les délais d’expédition et accroîtrait l’efficacité des services portuaires au regard des coûts. Le transport ferroviaire, bien qu’il ait régressé dans les régions insulaires, reste sans aucun doute un complément important du réseau de transport de la Grande Caraïbe, que ce soit au niveau national ou régional, en tant que voie de passage à travers laquelle des territoires extrarégionaux peuvent nouer des contacts avec les pays caribéens et qui permet d’établir des liens économiques intra-régionaux. Même si l’établissement de systèmes ferroviaires reste concentré dans les territoires continentaux de la Grande Caraïbe et que l'étendue de systèmes régionaux de transport ferroviaire ne peut pas être comparée à celle du réseau régional de transport maritime, le chemin de fer caribéen n’a pas disparu et n’a pas été oublié. Il faut maintenant que les parties prenant part au transport régional soient conscientes du rôle potentiel que le rail peut jouer pour encourager le développement, à la fois du point de vue économique et environnemental, pour assurer l'avenir de la Caraïbe.

 

George Nicholson est le Directeur responsable du transport et de la réduction des risques de catastrophes et Rachael Robinson est Assistante de recherche à la Direction du transport et de la réduction des risques de catastrophes de l’Association des Etats de la Caraïbe. Tout commentaire ou retour d’information peut être envoyé à feedback@acs-aec.org