Pas de paperasserie ni de trous noirs! La loi sur les interventions en cas de catastrophe ne laisse aucune zone grise en ce domaine

AGC024/2014

Comme le dit le vieil adage, “Trop de cuisiniers dans la cuisine gâtent la sauce”. De même, dans une situation d’urgence après une catastrophe, l’afflux massif d’aides internationales d’urgence, toutes empreintes des intentions les plus altruistes et philanthropique, peut poser de sérieux problèmes au pays touché si elle n’est pas coordonnée et gérée avec soin. De nombreux pays ont amélioré, au fil des ans, leur capacité à atténuer les effets des catastrophes et à y répondre ; mais  la fréquence et l’intensité croissantes des catastrophes naturelles font qu’elles outrepassent et limitent la capacité nationale d’action. La coopération internationale reste donc essentielle pour répondre aux besoins humanitaires des communautés affectées.

 

Le 12 janvier 2010, un violent tremblement de terre qui a atteint 7,3 degrés sur l’échelle de Richter a dévasté la nation d’Haïti. Les estimations finales ont évalué à plus de 230.000 les pertes humaines et à plus de 2 million le nombre de personnes déplacées. Le gouvernement haïtien a calculé par la suite que 250.000 résidences et 30.000 immeubles à usage commercial s’étaient effondrés ou avaient été gravement endommagés, y compris le siège de la Mission des Nations Unies pour la  stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Ces pertes insurmontables ont inévitablement eu des répercussions négatives sur les institutions hautement centralisées du pays, qu’elles ont considérablement affaiblies. La communauté internationale s’est tout naturellement mobilisée au lendemain de cet évènement pour fournir une aide internationale à grande échelle. Des acteurs de gouvernements étrangers, des bailleurs de fonds, des  organisations régionales, des ONG, des groupes religieux et des organisations humanitaires ont débarqué à Haïti peu de temps après pour fournir l’aide matérielle d’urgence et du personnel valide. Ces actions ont été complétées par la présence d’organisations qui opéraient auparavant en Haïti, telles que les mouvements de la Croix Rouge et du Croissant Rouge et plusieurs autres ONG chargées de garantir la sécurité des citoyens et la sécurité publique. Cependant, l’un des problèmes rencontrés après le tremblement de terre était l’incapacité des acteurs internationaux de s’enregistrer rapidement auprès des autorités haïtiennes en vertu de la procédure existante, car cette dernière était destinée aux ONG menant des activités d’aide au développement à long terme  dans le pays et non des interventions d’urgence à court terme.

 

Certains des problèmes auxquels se heurtent ces organismes lorsqu’ils dispensent une aide sont liés à la bureaucratie quand débutent les opérations de secours. Certaines de ces expériences vont des problèmes de paperasserie qui impliquent des restrictions et des retards dans les opérations de dédouanement des produits et des équipements de secours à l’imposition de droits et de taxes sur les articles importés dans le cadre de l’aide d’urgence, et aux difficultés et retards pour l’obtention et le renouvellement des visas et permis pour le personnel humanitaire. Les problèmes pour obtenir la reconnaissance légale des qualifications des experts étrangers, dans le cas du  personnel spécialisé, en particulier dans le domaine médical, et les difficultés pour l’enregistrement légal des organisations humanitaires étrangères restreignent la possibilité d’ouvrir des comptes en banque et de recruter du personnel local, ce qui aggrave le problème. De plus, on a souvent mentionné, par exemple, l’absence de coordination adéquate avec les autorités locales qui conduit à importer, dans le cadre de l’aide, des articles qui ne correspondent pas aux besoins identifiés, ainsi que le recours à du personnel insuffisamment formé et l’importation de personnel sans connaître la capacité locale.

 

C’est là le point de convergence entre la loi et les scènes de catastrophes lorsqu’il s’agit de faciliter et réglementer les opérations internationales de secours et les opérations de relèvement initial. L’excès de réglementation dans certains domaines engendre des goulets d'étranglement inutiles qui ralentissent l'entrée et la distribution des secours tandis que la sous-réglementation a pour conséquence une mauvaise qualité et l’absence de coordination des efforts. Cela signifie que, d’une part les gouvernements sont accablés sous le poids d’une multitude de questions administratives [et politiques] et que, de l’autre, les agents de l’aide sont frustrés par ce qu’ils considèrent comme des retards en très grande partie bureaucratiques. En fin de compte, les principales victimes de ces approches fragmentaires et ad hoc sont les familles qui ont besoin d’une aide immédiate.

 

Cherchant à répondre à certaines de ces préoccupations, la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a mené en 2001 des consultations à grande échelle pour rédiger un projet de lois et  plans relatif aux catastrophes pour résoudre les problèmes réglementaires les plus courants dans les opérations internationales de secours en cas de catastrophe. Après un certain nombre de forums régionaux de haut niveau dans lequel les gouvernements, les sociétés nationales de la Croix-Rouge nationale et du Croissant-Rouge, les organisations internationales et les ONG ont apporté leur contribution, on a vu naitre les lignes directrices relatives à la facilitation et à la réglementation nationales des opérations internationales de secours et d'assistance au relèvement initial («les Lignes directrices IDRL »).  Ces lignes directrices à valeur non contraignante, qui sont un amalgame du droit des traités, du droit coutumier et du « droit mou », sont conçues comme une série de recommandations à l’intention des gouvernements et des organisations humanitaires et régionales qui définissent les normes minimales de qualité sur lesquels ils doivent insister pour l'aide humanitaire. Il s'agit notamment des principes d'humanité, de neutralité et d'impartialité, ainsi que des types de facilités d’ordre juridique dont les fournisseurs d’aide ont besoin  pour effectuer efficacement leur travail. Elles définissent aussi les responsabilités des Etats affectés et des acteurs intervenant dans l’aide, ainsi que les dispositions légales pour l’entrée et les opérations du personnel, des produits et des équipements, l’octroi d’un statut juridique national provisoire et les installations pour aider les organisations humanitaires, pour n’en mentionner qu’un petit nombre.

Resituer l’action en cas de catastrophe dans le contexte des sociétés de la Grande Caraïbe revient à la placer au milieu d’une série de dichotomies et de nuances car elle se trouve confrontée à des réalités juridiques et socio-politiques très différentes. La forte primatie accordée au secteur militaire en Amérique latine en a fait une force décisive dans la configuration de la vie législative, politique et institutionnelle. Ce statut des militaires en Amérique latine contraste avec la topographie des Caraïbes anglophones, qui repose beaucoup plus sur le volontarisme et des structures non militaires. Lorsqu’on observe les interventions en cas de catastrophe, la comparaison entre l’Amérique latine et la Caraïbe fait apparaitre une juxtaposition de mécanismes militaires et de mécanismes civils. Une étude plus poussée de la  jurisprudence révèle des traditions juridiques très différentes dans la région, la tradition du droit civil étant largement observée en Amérique latine et le droit coutumier, qui vient du droit coutumier anglais, étant adopté dans toute la Caraïbe anglophone

Dans la région, la Colombie, le Pérou et Haïti ont déjà commencé à introduire des changements afin d’améliorer leur cadre juridique pour les actions en cas de catastrophes. La Jamaïque assume une position de leader dans la Caraïbe anglophone en définissant ses positions en matière de politique pour la réception des secours internationaux en cas de catastrophe, tandis que Trinité et Tobago et Sainte Lucie sont en train de réaliser des analyses approfondies de leur cadre législatif en ce domaine. Dans le cas de la Jamaïque, plusieurs consultations avec de multiples parties intéressées ont révélé que, même si les lois relatives à la gestion des catastrophes ne sont pas actuellement adaptées pour faciliter  les secours internationaux, les pratiques et méthodes du système national d'action en cas de catastrophe mis au point au fil des années reflète un grand nombre des éléments clés des lignes directrices de l’IDRL. De plus, le pays dispose d’un mécanisme de secours en cas de catastrophe relativement solide, avec une pléthore de plans qui ont fait leurs preuves et de lignes directrices qui stipulent la manière dont les différents organismes doivent intervenir en cas de catastrophe de grande ampleur. L’objectif, pour ces pays comme pour d’autres est de replacer le contexte national dans une perspective globale, sachant qu’il n’existe pas de solution unique adaptée à tous les cas.

Le Rapport 2004 du Panel de haut niveau de l’ONU sur les menaces, les défis et les changements reconnait franchement qu’ “Aucun Etat, quelle que soit sa puissance, ne peut se valoir de ses seuls efforts pour se rendre  invulnérable aux menaces d’aujourd’hui. Chaque Etat nécessite la coopération d’autre Etats pour assurer sa sécurité.” Il est clair que les organismes d’intervention nationaux et la capacité locale jouent un rôle essentiel pour répondre aux besoins humanitaires en cas de catastrophe, et ce rôle ne doit pas être affaibli  mais complété par les efforts internationaux de secours. Les Etats Membres, conscients de la nécessité de renforcer l’ensemble du cadre juridique et institutionnel pour la prévention des catastrophes, l’atténuation de leurs effets, la préparation et les secours, ont inscrit la promotion des IDRL au nombre des activités en cours de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). En 2013, l’AEC a fait partie, aux côtés de la FICR,  d’un panel d’experts qui ont échangé les données de toute la gamme d’expériences destinées à incorporer les IDRL dans la législation nationale. L’AEC a fourni ensuite une  plateforme pour faciliter les consultations avec les Etats Membres sur le ‘Projet de modèle de décret d’urgence’. La préparation en matière juridique constitue une contribution essentielle pour renforcer la responsabilité en cas d’intervention après une catastrophe, et, plus encore, pour permettre une action opportune et coordonnée aux niveaux national et international qui peut sauver des vies et garantir le respect de la dignité de ceux qui sont considérés comme des victimes.

 

George Nicholson est le Directeur responsable du transport et de la réduction des risques de catastrophes et Nayaatha Taitt est l’Assistante de recherche de cette Unité.  Tout commentaire ou retour d’information peut être envoyé à : feedback@acs-aec.org 

A propos de l'AEC

L'Association des Etats de la Caraïbe est une organisation de consultation, de coopération et d'action concertée dans le commerce, le transport, le tourisme durable et les catastrophes naturelles dans la Grande Caraïbe et est composé de 25 pays membres et 7 pays membres associés. Les Etats Membres sont Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, Belize, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, République dominicaine, El Salvador, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Mexique, Jamaïque, Nicaragua, Panama, Saint-Kitts-Et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Suriname, Trinité-et-Tobago et le Venezuela. Ses membres associés sont Aruba, Curaçao, (France au titre de la Guyane française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin), Guadeloupe, (Les Pays-Bas au nom de Bonaire, Saba et Saint-Eustache), Martinique, Sint Maarten, Îles Turques et Caïques.