Vers ‘une intention commune’… Un transbordeur pour le transport régional de passagers?

Vers ‘une intention commune’… Un transbordeur pour le transport régional de passagers?

 

Une seule race (l’homme caribéen)

Venant du même endroit (l’homme caribéen)

Faisant le même voyage (l’homme caribéen)

Sur le même bateau (l’homme caribéen)

Nous devons donc avancer avec une intention commune

Pour une vie meilleure dans la région

 

Dans son calypso ‘Caribbean Unity’, Black Stalin implore poétiquement la région d’avoir une persévérance inébranlable dans sa quête du développement. Un genre d’intégration sans heurts, dont sa forme la plus simple, l’homme caribéen, sans les entraves des barrières, peut se livrer à la joie d’une baignade matinale à Maracas Bay, avoir au milieu de la journée un poisson volant à Accra Beach et un poulet ‘jerk’ au Negril lors du diner.

 

L’objectif de l’intégration a été par excellence la convergence économique : une  économie unique et un marché unique des biens et services.  Cependant, la facilitation d’une circulation libre des personnes a été pendant longtemps une dimension peu explorée de la politique régionale.  Dans le cas de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC), ces interactions sociales impliquent le mouvement combiné d’une population de 280 millions d’habitants de 28 Etats Membres, dont 44 millions vivent dans la Caraïbe insulaire.  La demande régionale de transport maritime est actuellement caractérisée par la circulation de marchandises, tandis que le transport aérien demeure dans les faits le mode de transport de la circulation de personnes.  D’après l’Association de Transport aérien de l’Amérique Latine et la Caraïbe (ALTA), le nombre de passagers se déplaçant dans la Caraïbe par voie aérienne,  jusqu’en mai 2014, a été 49.598.923 personnes, c’est-à-dire que le chiffre a augmenté de 6.6% par rapport aux 46.543.080  déplacements pendant la même période de 2013. Ces chiffres valident l’affirmation qu’il existe certainement une demande qui permettrait d’entreprendre l’exploitation d’un service de transbordeurs de passagers  à l’échelle régionale ou sous-régionale et de réaliser la vision d’unir la Grande Caraïbe par voie maritime.

Une plainte souvent formulée est que la connectivité maritime a connu des temps meilleurs.  Dans le passé, la Black Star Line, exploitée par Marcus Garvey et l’Universal Negro Improvement Association, était née d’un ferme sentiment de fierté noire et du souhait de longue date d’une nation noire. Bien que pendant une courte période de temps (1919-1922) sa vision a été que la ligne maritime favoriserait le commerce entre les populations noires et le transport de passagers entre l’Amérique, la Caraïbe et l’Afrique. Plus récemment, en 1999-2000, la compagnie Windward Ferries exploitait un transbordeur  combiné de 58m. pouvant transporter 250 passagers et 350 tonnes de marchandises.  Ce transbordeur assurait la liaison entre Sainte- Lucie, la Barbade, Saint-Vincent, Trinité, l’Ile de Margarita et Puerto La Cruz au Venezuela. En tant que référence de services existants, l’Express des Iles fonctionne actuellement dans les territoires français de la Caraïbe et offre des services de liaison entre Sainte-Lucie, la Martinique, Dominique et la Guadeloupe.  Le tarif moyen des billets est d’USD $102 pour un aller simple et d’USD $150 pour un aller-retour. Trinité et Tobago assure aussi un service régulier de transbordeurs rapides entre les deux îles à un coût raisonnable de  USD$15.

 

Le Transport dans la Caraïbe est une question transversale, ayant des implications directes pour le commerce et le tourisme.  Les données de la CEPAL pour l’année 2013 montrent que les exportations de services dans les pays membres de l’AEC représentent US$ 68,875 milliards, tandis que le total des importations est d’US $ 81,156 milliards, concentré notamment dans le secteur du tourisme.  En 2013, la contribution totale des voyages et du tourisme au PIB régional a été d’USD 49,00 milliards ou 14%. En considérant la valeur ajoutée aussi bien directe qu’indirecte, on remarque que le secteur constitue sans doute le moteur du développement économique régional.  De nombreux gouvernements caribéens dépendent du tourisme et des activités liées au tourisme comme sources directes et indirectes de recettes fiscales.  Concernant la création d’emplois, les voyages et le tourisme ont généré 607.000 emplois directs en 2013 (3,6% du total de l’emploi) et une augmentation  de 2,9% est prévue pour 2014, atteignant 624.000 (3,7% du total de l’emploi). En outre, les dépenses des voyages d’agrément (d’arrivée et internes) ont généré 91% du PIB direct de voyages et Tourisme en 2013 (USD34,1 milliards).

 

Etant donné ces gains, la question dont on parle à présent est de tirer profit du tourisme multi-destination, comme moyen de préserver la part de marché de la destination Caraïbe dans les marchés extrarégionaux et augmenter les flux touristiques au sein de la région.  Les offres de tourisme régional sont abondants et divers, ils vont des festivals comme la Carnaval de Trinité-et-Tobago, au Festival de Jazz de Tobago, le Festival de Jazz et blues de la Jamaïque, la Reggae Sumfest, Barbados Cropover, les manifestations sportives et de voile, comme la Semaine de la voile à Antigua y les Championnats de rallye caribéen, ainsi que les excursions de découverte de la nature et d’aventure promues par des compagnies régionales comme Island Routes, pour ne mentionner que quelques exemples.  Toutefois, la question du tourisme multi-destinations ne peut pas être complètement résolue tant qu’il n’y aura pas un dialogue et surtout, une action régionale cohérente concernant la connectivité.

 

Les statistiques de 2013 de l’Organisation du Tourisme de la Caraïbe (CTO) indiquent que des  25,1 millions de visiteurs de la région, environ 23 millions provenaient de marchés extrarégionaux.  La majorité des touristes continue d’appartenir aux Etats Unis et au cours des cinq dernières années ils ont représenté en moyenne 50%  du total d’arrivées.  En analysant la situation dans notre entourage, les données montrent que seulement 1,6 millions de résidents de la Caraïbe ont visité des destinations voisines.  Par ailleurs, les Pays du Commonwealth ont enregistré une diminution de 0,5% de visites de ressortissants caribéens. L’OECO, qui bénéficie d’un tourisme intra-caribéen significatif (entre 20-50% de la part du marché total sur tous les pays) a enregistré une diminution de 3.4 % d’arrivées. Les tendances actuelles indiquent qu’une bonne partie de la population de la Grande Caraïbe fréquente plus aisément l’Amérique du Nord et l’Europe que ses propres voisins, en signalant que les coûts élevés constituent le facteur plus prohibitif.  Etant donné que la flottabilité du secteur du tourisme est affectée par la grande élasticité de la demande, la sensibilité et la compétitivité des prix d’autres destinations, la concurrence des prix des produits touristiques dans la région est largement déterminée par l’efficacité du transport.      Compte tenu du coût élevé de l’entrée au marché du transport aérien, la demande d’une solution de transport efficace par rapport au coût est dirigée vers l’établissement d’un service de transport maritime entre la chaîne d’îles. 

 

En mettant de côté une rhétorique joliment présentée, la faisabilité d’un service de transbordeurs de passagers ne peut être assurée qu’après avoir considéré une série de questions.  Entre autres, en particulier, le sujet de la  taxation, qui n’a pas été traité de manière adéquate et qui élève les prix des billets au-delà du recouvrement des coûts,  ce qui fait que ces derniers se répercutent sur les consommateurs.  En outre, l’analyse de la faisabilité devrait tenir compte du type approprié de bateau, des routes viables, de la fréquence du service, la fixation de tarifs, le besoin de terminaux de passagers dans les différents ports et l’impact du fonctionnement sur les services existants.   Quant aux droits de propriété, les options qui s’articulent autour de la propriété des gouvernements sont sans doute entravées par la restriction des ressources budgétaires, et par le fait d’avoir compris depuis longtemps que les gouvernements ne doivent ou ne devraient pas être des fournisseurs de services, mais se concentrer plutôt à l’établissement et le maintien d’un cadre politique et règlementaire offrant au capital privé la possibilité d’obtenir un retour raisonnable de l’investissement, tout en procurant des niveaux de service décents et la sécurité des opérations.

 

Simultanément, il faudrait aborder la question de la circulation sans tracas.  Différents accords de la CARICOM dénotent l’intention des gouvernements de faciliter la circulation des personnes de la Caraïbe, en grande mesure pour favoriser l’activité touristique et promouvoir l’exploration des îles par leurs frères et sœurs caribéens.  Malgré l’émission d’un passeport de la CARICOM, à l’exception des pays de l’OECO, cela demeure un but non réalisé.  L’harmonisation des régimes de visa avec des pays tiers servirait à avancer davantage en favorisant les intérêts du tourisme régional.  L’Espace intérieur unique (Single Domestic Space - SDS) établi pendant la Coupe mondiale de cricket de 2007, dans 10 Etats membres de la CARICOM, constitue un bon exemple de la facilité de transit lorsque le transport régional est totalement efficace. Cela a permis à tous les voyageurs locaux la liberté de circuler ; quant aux voyageurs de l’extérieur de la région, un visa spécial apposé au premier port d’entrée leur a permis de se déplacer librement dans les Etats participants du SDS.

 

De façon similaire, les Accords de Schengen de 1985 et 1990 ont été un changement majeur pour la circulation en Europe, car il a aboli les contrôles de frontières cherchant à atteindre une masse critique. Ce genre d’accord a été mis en œuvre en Amérique centrale depuis 2006, bien que non sans quelques difficultés.  L’Accord CA-4 de contrôle frontalier de l’Amérique Centrale  permet aux citoyens des quatre nations signataires, El Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua, la libre circulation entre les pays, sans restrictions ou vérifications.  En outre, l’Accord harmonise les règlements de visa de la zone, permettant à des nationaux étrangers éligibles de voyager à travers les quatre pays pendant un période de 90 jours au maximum, sans s’acquitter des formalités d’entrée et de sortie aux bureaux d’immigration des frontières. 

 

La Direction du Transport de l’AEC a pour mandat, par le biais de son programme de travail, d’unir la Caraïbe par voie aérienne et maritime.  Cela place l’organisation face à la responsabilité de collaborer aux initiatives liées au transport aérien et  maritime, ainsi que de mettre en œuvre et d’améliorer les instruments, mécanismes et conditions pour accroître l’efficacité du secteur du transport.  Suite au V Sommet de Chefs d’Etat et/ou de Gouvernement, ce mandat a été renforcé en reconnaissant que ces actions devraient « contribuer au renforcement de l’unification des nations de la Grande Caraïbe. »  Cette déclaration enserre l’importance de comprendre que les liaisons de transport constituent un outil puissant pour assurer le progrès économique de la région.

 

La vision et la volonté politique demeurent les pierres angulaires pour considérer la Mer des Caraïbes comme un pont plutôt que comme une barrière à l’intégration régionale.  L’établissement d’un service régional de transbordeurs de passagers fonctionnel et rentable n’est pas quelque chose d’utopique ; cependant, il existe de défi de dépasser la rhétorique et de produire les actions concrètes qui apporteront la connectivité.   En réfléchissant sur les paroles de Black Stalin, embrasser le régionalisme caribéen implique  avant tout, dans son sens le plus pur, promouvoir un sentiment d’identité et d’unité.  L’amélioration les liaisons de transport est au cœur de ces efforts car cela conduit à une intégration qui est pertinente aux yeux des citoyens de la région.

 

George Nicholson est le Directeur du Transport et  Nayaatha Taitt est Assistant de recherche à la Direction du Transport de l’Association des Etats de la Caraïbe. Tout commentaire ou remarque peut être adressé à feedback@acs-aec.org